Après avoir suscité l’espoir, Biden n’a toujours pas de plan de migration climatique

SAN DIEGO — Peu de temps après son entrée en fonction, le président des États-Unis Joe Biden a publié ce qui a été largement salué comme un décret exécutif historique appelant le gouvernement américain à étudier et à planifier l’impact du changement climatique sur la migration. Moins d’un an plus tard, son administration a publié la première évaluation du gouvernement américain des vastes effets du réchauffement de la Terre sur la sécurité internationale et le déplacement des personnes.

Des défenseurs ont salué les deux mesures comme des pas audacieux pour que le monde reconnaisse enfin la nécessité d’offrir un refuge aux personnes fuyant non seulement les guerres et les persécutions, mais aussi les désastres climatiques tels que la sécheresse et la montée des eaux. 

Depuis lors, cependant, l’administration Biden n’a guère fait plus qu’étudier l’idée, affirment des militants. 

Le gouvernement a tardé à mettre en œuvre les recommandations formulées il y a un an par ses propres agences, y compris le Conseil de sécurité nationale, sur la manière de lutter contre la migration climatique.

La création d’un groupe de travail interinstitutions chargé de coordonner la réponse du gouvernement à la migration climatique nationale et internationale a été essentielle pour progresser sur la question.

Mais le groupe, qui était censé superviser les politiques, les stratégies et les budgets pour aider les personnes déplacées par le climat, n’a toujours pas été créé, selon une personne au courant des efforts de l’administration qui n’était pas autorisée à s’exprimer publiquement. La personne a déclaré que le groupe devrait tenir sa première réunion plus tard cet automne. L’administration a refusé d’identifier les agences qui participeront au groupe de travail.

Pendant ce temps, le rapport de M. Biden au Congrès sur ses projets d’admission de réfugiés aux États-Unis pour l’exercice budgétaire 2023 ne mentionne que très peu le changement climatique.

Les défenseurs, autrefois encouragés par les promesses de l’administration d’accueillir les personnes déplacées par le climat, disent qu’ils ont perdu espoir. 

«Cela a été vraiment décevant, a déclaré Ama Francis, experte en migration climatique au Projet international d’assistance aux réfugiés, un groupe de défense établi à New York. Nous voulons voir une action réelle. Il y a des besoins en ce moment. Mais tout ce que nous voyons, c’est l’administration avancer lentement et rester dans une phase exploratoire, plutôt que de faire quelque chose.»

Et cela malgré les rapports des départements de la Défense et de la Sécurité intérieure, du Conseil de sécurité nationale ainsi que du directeur du renseignement national qui ont souligné «l’urgence d’étendre les protections actuelles et de créer de nouvelles voies légales vers la sécurité des personnes déplacées par le climat», a souligné Mme Francis.

Des millions de personnes déplacées

Chaque année, les catastrophes naturelles forcent en moyenne 21,5 millions de personnes à quitter leur foyer dans le monde, selon le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés. Et les scientifiques prédisent que la migration augmentera à mesure que la planète se réchauffera. 

Au cours des 30 prochaines années, 143 millions de personnes risquent d’être déplacées par la montée des mers, la sécheresse, les températures extrêmes et d’autres catastrophes climatiques, a rapporté cette année le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC).

Les responsables de la sécurité nationale ont également recommandé d’augmenter l’aide américaine aux pays régulièrement frappés par des conditions météorologiques extrêmes et de renforcer le soutien aux climatologues américains et autres afin de suivre ces événements.

À cette fin, le gouvernement a récemment publié des plans pour travailler avec le Congrès afin de fournir des milliards de dollars par an pour aider les pays à s’adapter et à gérer les impacts du changement climatique, en particulier pour ceux qui sont vulnérables aux pires effets.

Lors du sommet des nations insulaires du Pacifique qui a eu lieu à Washington, Joe Biden a annoncé un financement de 22 millions de dollars pour la prévision et la recherche sur le climat, et la mise en place de systèmes d’alerte précoce dans des endroits comme l’Afrique, où 60% des nations manquent de tels systèmes. L’administration a déclaré qu’elle prévoyait d’annoncer davantage de financements de ce type pour combler cet écart lors du sommet mondial sur le climat COP27 en Égypte, qui aura lieu en novembre.

Les catastrophes environnementales déplacent désormais plus de personnes que les conflits dans leur propre pays, bien qu’aucune nation au monde n’offre l’asile aux migrants climatiques.

Le rapport de 37 pages de la Maison-Blanche sur l’impact du changement climatique sur la migration était la première fois que le gouvernement américain décrivait les liens inextricables entre le changement climatique et la migration.

Publié en octobre 2021 alors que M. Biden se dirigeait vers la conférence des Nations unies sur le climat à Glasgow, en Écosse, le rapport recommandait des mesures, telles que la surveillance des flux de personnes forcées de quitter leur domicile en raison de catastrophes naturelles et la collaboration avec le Congrès sur un plan novateur qui ajouterait les sécheresses, les inondations, les feux de forêt et d’autres raisons liées au climat dans l’examen du statut de réfugié.

Le rapport est venu un an après que le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés a publié des orientations juridiques qui ont ouvert la porte à la protection des personnes déplacées par les effets du réchauffement climatique.

Les orientations indiquent que le changement climatique doit être pris en considération dans certains scénarios lorsqu’il s’accompagne de la violence, bien que le document n’ait pas redéfini la Convention de 1951 sur les réfugiés, qui offre une protection juridique seulement aux personnes fuyant la persécution en raison de leur race, religion, nationalité, politique, opinion ou groupe social.

«Un moyen de survie»

L’agence des Nations unies pour les réfugiés a reconnu que la protection temporaire peut être insuffisante si un pays devient inhabitable en raison de la sécheresse ou de la montée du niveau de la mer, et a suggéré que certaines personnes déplacées en raison du climat pourraient être éligibles à la relocalisation. 

Le mois dernier, plus d’une douzaine d’organisations humanitaires ont envoyé une lettre à la Maison-Blanche exhortant le gouvernement à donner la priorité aux populations réfugiées actuellement touchées par le changement climatique. Ces populations incluent: des Sud-Soudanais et des Éthiopiens vivant au Soudan où la sécheresse récurrente et les inondations exacerbées par le changement climatique menacent les camps de réfugiés. Et les Rohingyas au Bangladesh où les camps de réfugiés sont également menacés par les inondations.

Mais l’administration Biden n’a pas répondu à la demande, ont indiqué les organisations.

«C’était une étape positive que l’administration reconnaisse qu’elle devait travailler sur cette question, ce qui est une première, alors maintenant elle devrait s’assurer de tenir (…) cette promesse», a déclaré Kayly Ober de l’organisation humanitaire indépendante Refugees International.

La migration fait partie de l’adaptation de l’humanité face au changement climatique et deviendra l’un des nombreux moyens de survie, de sorte que les gouvernements doivent maintenant planifier en conséquence, affirment des militants. 

Les organisations humanitaires ont fourni à l’administration des rapports sur la manière de former des agents d’immigration pour mieux prendre en compte le changement climatique lors des entretiens avec les personnes demandant l’asile ou le statut de réfugié. Ils ont également proposé une analyse des voies légales possibles, telles que l’élargissement du statut de protection temporaire et la libération conditionnelle humanitaire, qui ont permis aux personnes fuyant les catastrophes naturelles et les conflits dans une liste limitée de pays de vivre et de travailler aux États-Unis pendant quelques années.

Des experts estiment que les États-Unis devraient établir une catégorie de relocalisation pour les migrants qui ne répondent pas à la définition de réfugié, mais qui ne peuvent pas retourner en toute sécurité dans leur pays d’origine en raison de risques environnementaux. 

La détérioration des conditions météorologiques exacerbe la pauvreté, la criminalité et l’instabilité politique, alimentant les tensions sur la diminution des ressources de l’Afrique à l’Amérique latine. Mais souvent, le changement climatique est négligé comme facteur contribuant à l’exode des populations de leur pays d’origine. Selon l’agence des Nations Unies pour les réfugiés, 90 % des réfugiés relevant de son mandat viennent de pays «aux premières loges de l’urgence climatique».

Mais jusqu’à présent, les États-Unis ont peu progressé dans l’adoption de politiques les reconnaissant.

«Là où nous avons un peu de mouvement, malheureusement, ce n’est que dans la hausse du nombre de personnes déplacées de force dans le monde», se désole Amali Tower, fondatrice du groupe de défense Climate Refugees.