Les contaminants dans le lait maternel sont mal compris, prévient une étude

MONTRÉAL — Le lait maternel contient des quantités très élevées de certains «produits chimiques éternels» et la situation doit être étudiée plus en profondeur, prévient une équipe de recherche canado-américaine.

Dans certains cas, la concentration de ces substances dans le lait maternel peut être jusqu’à cent fois supérieure à celle qu’on retrouve dans l’eau potable.

Les produits en cause, les substances perfluoroalkyliques et polyfluoroalkyliques (PFAS), sont largement utilisés dans des produits de la vie courante comme les revêtements antiadhésifs pour la cuisson; les tissus hydrofuges ou résistants aux taches; et les produits de soins personnels.

«Ce sont des contaminants auxquels nous sommes tous exposés, a dit le seul coauteur canadien de l’étude, le professeur Marc-André Verner de l’École de santé publique de l’Université de Montréal. Il y en a dans le sang de virtuellement tous les Canadiens, de tous les Américains, si on parle de l’Amérique du Nord, mais c’est vraiment à l’échelle planétaire.»

Ce sont aussi des contaminants qui peuvent passer du sang de la mère au lait maternel, et les enfants allaités y seront conséquemment exposés, a-t-il ajouté. Les chercheurs ont donc voulu vérifier ce que la littérature scientifique dit au sujet des concentrations de PFAS dans le lait maternel.

Ils ont rapidement constaté qu’elle ne dit pas grand-chose: ils n’ont trouvé que trois études scientifiques qui mesuraient réellement les concentrations de PFAS dans le lait maternel, et ces études regroupaient seulement 142 échantillons de lait maternel provenant principalement des États-Unis.

«Ça ne nous permettait pas vraiment d’avoir une bonne idée de l’exposition dans la population, puis justement des concentrations qui se retrouvent dans le lait maternel», a dit M. Verner.

L’équipe a donc mis au point un modèle prédictif pour estimer les concentrations de PFAS dans le lait maternel à partir des concentrations dans le sang des individus, et pour lesquelles on dispose en revanche de bonnes données. Elle s’est intéressée à quatre PFAS: l’acide perfluorooctanoïque (PFOA), le sulfonate de perfluorooctane (PFOS), le sulfonate de perfluorohexane (PFHxS) et l’acide perfluorononanoïque (PFNA).

Les chercheurs ont ensuite comparé les concentrations mesurées et estimées dans le lait maternel à des valeurs de dépistage pour l’eau potable des enfants élaborées par une agence américaine.

«On n’a pas de valeurs de dépistage à ne pas dépasser pour les PFAS dans le lait maternel, donc on a pris les valeurs de dépistage qui nous semblaient les plus adéquates (…) et on s’est arrêtés sur une valeur de dépistage dans l’eau potable pour les enfants», a précisé M. Verner.

Les valeurs de dépistage sont les doses à partir desquelles on commence à constater des effets néfastes. Elles sont souvent établies sur la base d’études animales.

Jusqu’à cent fois plus

Les chercheurs ont constaté, dans un premier temps, que les concentrations moyennes estimées de PFOA et de PFOS dans le lait maternel pouvaient être jusqu’à cent fois supérieures aux valeurs de dépistage.

«Nous ne sommes clairement plus dans des concentrations pour lesquelles on considère que le risque est négligeable, a dit M. Verner. On commence à se dire, OK, il y a possiblement un risque et on doit vraiment se pencher sur la question.» 

En revanche, les concentrations de PFHxS et le PFNA étaient pour la plupart inférieures aux valeurs de dépistage.

Il n’existe actuellement aucune valeur de dépistage pour les PFAS dans le lait maternel. Sans ces valeurs, même si les concentrations de PFAS dans le lait maternel dépassent les valeurs fixées pour l’eau potable, il est impossible de prédire si des effets nocifs sur la santé en résulteront.

Les bienfaits de l’allaitement pour la santé du bébé et celle de la mère sont solidement démontrés, a rappelé M. Verner. En revanche, les risques pour l’enfant d’une exposition aux PFAS sont encore entourés de beaucoup d’incertitude. La recommandation des chercheurs pour le moment est donc de continuer à allaiter.

«Notre conclusion, ce n’est pas qu’il existe nécessairement un risque à la santé des enfants, a dit M. Verner. Ce n’est pas parce qu’on dépasse les valeurs de dépistage qu’il y a nécessairement un risque. Mais quand on dépasse ces valeurs-là, ça indique qu’on doit se pencher sur la question.»

Les chercheurs recommandent maintenant d’élaborer des programmes nationaux de mesure de contaminants dans le lait maternel pour avoir une meilleure idée de l’exposition des enfants.

Bien que la production des PFAS les plus inquiétants ait été interdite ou volontairement abandonnée dans de nombreux pays, ils ont été remplacés par d’autres PFAS dont les effets sur l’environnement et la santé sont encore mal compris.

Les conclusions de cette étude sont publiées par le journal scientifique Environmental Health Perspectives.