Le sort de la ville de Bakhmout demeure incertain

KYIV, Ukraine — Le sort de Bakhmout semblait peser dans la balance lundi, alors que les forces russes continuaient d’avancer sur cette ville dévastée de l’est de l’Ukraine.

Les défenseurs de la ville refusaient toujours au Kremlin la récompense qu’il recherche depuis six mois, au prix de milliers de vies.

D’intenses bombardements russes ont visé la ville de la région de Donetsk et les villages voisins alors que Moscou y a déployé davantage de ressources dans une tentative apparente d’en finir avec la résistance de Bakhmout, selon des responsables locaux.

«Les civils fuient la région pour échapper aux bombardements russes qui se poursuivent 24 heures sur 24, alors que des troupes et des armes russes supplémentaires y sont déployées», a déclaré Pavlo Kyrylenko, le gouverneur de Donetsk.

Plus généralement, la Russie continue d’éprouver des difficultés à créer une dynamique sur le champ de bataille. L’invasion à grande échelle lancée par Moscou le 24 février 2022 s’est rapidement arrêtée, puis a été repoussée par une contre-offensive ukrainienne. Au cours des mois d’hiver glacials, les combats sont restés largement dans l’impasse.

Bakhmout n’a pas de valeur stratégique majeure et, selon les analystes, il est peu probable que sa chute éventuelle marque un tournant dans le conflit.

Son importance est devenue psychologique ― pour le président russe Vladimir Poutine, une victoire dans cette ville apportera enfin de bonnes nouvelles du champ de bataille, tandis que pour Kyiv, la démonstration de courage et de défi renforce le message selon lequel l’Ukraine s’accroche après une année d’attaques brutales pour cimenter le soutien de ses alliés occidentaux.

Malgré cela, certains analystes s’interrogent sur la sagesse des défenseurs ukrainiens de tenir plus longtemps; d’autres suggèrent qu’un retrait tactique pourrait déjà être en cours.

Michael Kofman, le directeur des études sur la Russie au groupe de réflexion CAN à Arlington, en Virginie, a déclaré que la défense de Bakhmout par l’Ukraine a été efficace parce qu’elle a drainé l’effort de guerre russe, mais que Kyiv devrait maintenant regarder vers l’avenir.

«Je pense que la défense tenace de Bakhmout a permis de réaliser beaucoup de choses, en dépensant la main-d’œuvre et les munitions russes, a lancé M. Kofman sur Twitter tard dimanche. Mais les stratégies peuvent atteindre des points de rendement décroissant, et étant donné que l’Ukraine essaie de mobiliser des ressources pour une offensive, cela pourrait entraver le succès d’une opération plus importante.»

L’Institut pour l’étude de la guerre, un groupe de réflexion basé à Washington, a noté que la guerre urbaine favorise le défenseur, mais a estimé que l’option la plus intelligente maintenant pour Kyiv pourrait être de se retirer vers des positions plus faciles à défendre.

Selon des responsables du renseignement militaire britannique et d’autres analystes occidentaux, les unités ukrainiennes ont détruit ces derniers jours deux ponts clés juste à l’extérieur de Bakhmout, dont un reliant la ville à la ville voisine de Chasiv Yar, située au sommet d’une colline et le long de la dernière route de réapprovisionnement ukrainienne. La démolition des ponts pourrait faire partie des efforts visant à ralentir l’offensive russe si les forces ukrainiennes commencent à se retirer de la ville.

«Il est peu probable que les forces ukrainiennes se retirent de Bakhmout d’un seul coup et elles pourraient poursuivre un retrait progressif pour épuiser les forces russes en poursuivant la guerre urbaine», a analysé l’Institut dans une évaluation publiée dimanche dernier.

L’ambition affichée de M. Poutine est de prendre le contrôle total des quatre provinces, dont Donetsk, que Moscou a illégalement annexées l’automne dernier. La Russie contrôle environ la moitié de la province de Donetsk, et pour prendre la moitié restante de cette province, ses forces doivent passer par Bakhmout.

La ville est la seule voie d’accès aux grandes villes tenues par les Ukrainiens depuis que les troupes ukrainiennes ont repris Izium, dans la province de Kharkiv, lors d’une contre-offensive en septembre dernier.

Mais le fait qu’il faille au moins six mois pour conquérir Bakhmout, qui comptait 80 000 habitants avant la guerre et était autrefois une destination de vacances prisée, n’est pas de bon augure pour les capacités offensives de l’armée russe, ni pour la suite de sa campagne.

«Les forces russes ne disposent pas actuellement des effectifs et de l’équipement nécessaires pour mener des opérations offensives à grande échelle en vue d’une nouvelle offensive vers (les villes voisines de) Kramatorsk et Slovyansk, sans parler d’une campagne de plusieurs années visant à capturer l’ensemble de l’oblast de Donetsk», estime l’Institut.

Bakhmout a pris une importance presque mythique pour ses défenseurs. Elle est devenue comme Marioupol, la ville portuaire de la même province que la Russie a prise après un siège de 82 jours qui s’est finalement concentré sur une gigantesque aciérie où des combattants ukrainiens déterminés ont tenu bon aux côtés de civils.

Moscou cherche à consolider sa domination dans les zones qu’elle a occupées et annexées. Le ministre russe de la Défense, Sergei Shoigu, s’est rendu à Marioupol et a visité certaines des infrastructures reconstruites de la ville, a indiqué le ministère de la Défense lundi.

M. Shoigu s’est vu montrer un hôpital nouvellement construit, un centre de secours du ministère des Urgences et des bâtiments résidentiels, a indiqué le ministère. Pendant ce temps, les forces russes ont attaqué pendant la nuit les régions centrales et orientales de l’Ukraine avec des drones Shahed de fabrication iranienne, a déclaré lundi aux médias ukrainiens le porte-parole des forces aériennes ukrainiennes, Yurii Ihnat. Sur les 15 drones lancés par la Russie, 13 ont été abattus, a assuré M. Ihnat. Il n’était pas immédiatement clair si l’attaque avait causé des dommages.

Par ailleurs, le Service fédéral de sécurité russe, ou FSB, a affirmé lundi avoir déjoué une tentative d’assassinat de l’homme d’affaires nationaliste Konstantin Malofeyev. Il a expliqué qu’il s’agissait d’un complot des services de sécurité ukrainiens et du Corps des volontaires russes, un groupe qui prétend faire partie des forces armées ukrainiennes.

Selon le FSB, le chef du Corps des volontaires russes, Denis Kapustin, était le cerveau de la tentative d’assassinat présumée, et le plan consistait à installer un engin explosif sous la voiture de M. Malofeyev.

Aucun détail n’a été donné quant à la façon dont le FSB est intervenu, ni à quel stade. Les images diffusées par le service montrent un homme manipulant une voiture censée être celle de M. Malofeyev, puis un robot retirant un objet de dessous une voiture sur un parking.

M. Malofeyev est un baron des médias et le propriétaire de la chaîne ultraconservatrice Tsargrad TV. Il a soutenu les séparatistes appuyés par la Russie en Ukraine et a présenté l’invasion de Moscou comme une «guerre sainte». Il a été sanctionné par les États-Unis.