Les forces russes aux portes de Kiev, la capitale ukrainienne

KIEV, UKRAINE — La Russie a poussé son invasion de l’Ukraine à la périphérie de la capitale vendredi après avoir déclenché des frappes aériennes sur des villes et des bases militaires et envoyé des troupes et des chars sur trois fronts dans une attaque qui pourrait réécrire la sécurité mondiale de l’après-guerre froide.

Des explosions ont retenti avant l’aube à Kiev alors que les dirigeants occidentaux ont programmé une réunion d’urgence et que le président ukrainien a plaidé pour une aide internationale. La nature des explosions n’était pas immédiatement claire. Des signes indiquent que la capitale est de plus en plus menacée après une journée de combats qui a fait plus de 100 morts ukrainiens.

Le président ukrainien Volodymyr Zelenskyy a déclaré que le gouvernement disposait d’informations selon lesquelles des « groupes subversifs » empiétaient sur la ville. Le secrétaire d’État américain Antony Blinken a ajouté que Kiev « pourrait bien être assiégée » dans ce que les responsables américains considèrent comme une tentative effrontée du président russe Vladimir Poutine de démanteler le gouvernement et de le remplacer par son propre régime.

Le secrétaire américain à la Défense, Lloyd Austin, a déclaré aux élus lors d’un appel téléphonique que les forces mécanisées russes entrées depuis la Biélorussie se trouvaient à environ 30 km de Kiev, selon une personne proche du dossier.

L’assaut, anticipé depuis des semaines par les États-Unis et leurs alliés occidentaux et entrepris par le président Poutine malgré la condamnation internationale et les sanctions en cascade, équivaut à la plus grande guerre terrestre en Europe depuis la Seconde Guerre mondiale. 

Une première journée meurtrière

La Russie a lancé jeudi une invasion à grande échelle de l’Ukraine, déclenchant des frappes aériennes sur des villes et des bases militaires et envoyant des troupes et des chars de trois côtés dans une attaque qui pourrait réécrire l’ordre de sécurité mondial de l’après-guerre froide. Le gouvernement ukrainien a demandé de l’aide tandis que des civils s’entassaient dans les trains et les voitures pour fuir le pays.

Des dizaines d’Ukrainiens, civils et militaires, ont été tués au cours de la première journée complète de combats.

Le président russe Vladimir Poutine a ignoré la condamnation mondiale et les nouvelles sanctions en cascade alors qu’il déclenchait la plus grande guerre terrestre en Europe depuis la Seconde Guerre mondiale et faisait froidement référence à l’arsenal nucléaire de son pays. Il a menacé tout pays essayant d’interférer de «conséquences que vous n’avez jamais vues», tandis qu’une résolution diplomatique autrefois espérée semblait désormais impossible.

Son emprise sur le pouvoir de plus en plus ténue, le président ukrainien Volodymyr Zelenskyy a plaidé jeudi pour des sanctions encore plus sévères que celles imposées par les alliés occidentaux et a ordonné une mobilisation militaire complète qui durerait 90 jours.

M. Zelenskyy a déclaré dans une allocution vidéo que 137 «héros», dont 10 officiers militaires, avaient été tués et 316 personnes blessées. Parmi les morts figuraient tous les gardes-frontières de l’île de Zmiinyi dans la région d’Odessa, qui a été reprise par les Russes.

Il a conclu un discours émouvant en disant que «le sort du pays dépend entièrement de notre armée, de nos forces de sécurité, de tous nos défenseurs».

Des sirènes ont retenti dans la capitale ukrainienne, de fortes explosions ont été entendues là et ailleurs, et la population a pris d’assaut les routes et les gares. 

Craignant une attaque russe contre la capitale, des milliers de personnes se sont enfoncées dans les souterrains à la tombée de la nuit, bondant les stations de métro de Kiev.

En dépit de l’anxiété, des enfants jouaient, des adultes discutaient. Les gens arrivaient avec des sacs de couchage ou des chiens ou des mots croisés – tout pour atténuer l’attente et la longue nuit à venir.

Mais l’épuisement se lit sur de nombreux visages. Et les inquiétudes.

«Personne ne croyait que cette guerre allait commencer et qu’ils prendraient directement Kiev, a déclaré Anton Mironov, attendant la nuit dans l’une des anciennes stations de métro de l’ère soviétique. Je ressens surtout de la fatigue. Rien de tout cela ne semble réel.»

L’invasion a commencé tôt jeudi par une série de frappes de missiles, dont beaucoup sur des installations gouvernementales et militaires clés, rapidement suivies d’un assaut terrestre à trois volets. Des responsables ukrainiens et américains ont déclaré que les forces russes attaquaient de l’est vers Kharkiv, la deuxième plus grande ville d’Ukraine; de la région sud de la Crimée, que la Russie a annexée en 2014; et du Bélarus au nord.

La Russie avait précédemment déclaré qu’elle avait déclenché des frappes aériennes et lancé des missiles sur des bases aériennes ukrainiennes, des systèmes de défense antiaérienne et d’autres installations militaires. Le ministère de la Défense a déclaré avoir détruit 83 installations militaires ukrainiennes.

Pour la première fois depuis le début de l’action, le porte-parole du ministère de la Défense, Igor Konashenkov, a confirmé que les troupes terrestres russes étaient entrées en Ukraine, affirmant qu’elles avançaient vers la ville de Kherson, au nord-ouest de la Crimée.

Kherson se trouve sur un réservoir fournissant l’essentiel de l’eau douce pour la Crimée jusqu’à ce que l’Ukraine le coupe avec un barrage en 2017 en réponse à l’annexion par Moscou en 2014 de la péninsule ukrainienne de Crimée.

M. Konashenkov a déclaré que le mouvement des troupes russes avait permis de reprendre l’approvisionnement en eau de la Crimée.

«Véritable guerre»

Le gouvernement ukrainien a dit que des blindés et des troupes russes ont franchi la frontière dans le cadre d’une «véritable guerre» dont les retombées se font déjà ressentir à travers le monde.

Le chef de l’OTAN a dit que ce «geste de guerre brutal» a fracassé la paix en Europe, joignant sa voix à celle des leaders internationaux qui ont condamné cette attaque qui pourrait causer d’importantes pertes de vie, renverser le gouvernement démocratique de l’Ukraine et chambouler la situation sécuritaire qui prévaut depuis la fin de la guerre froide.

Les répercussions du conflit n’ont pas tardé: les marchés ont plongé et le cours du pétrole a grimpé en flèche, alors qu’on s’inquiète d’une explosion des coûts du chauffage et de l’alimentation.

Le président ukrainien Volodymyr Zelensky a rompu les liens diplomatiques avec Moscou et imposé la loi martiale.

Tchernobyl

Un conseiller présidentiel a déclaré que l’Ukraine avait perdu le contrôle du site nucléaire de Tchernobyl, où les forces ukrainiennes avaient mené une bataille acharnée contre les troupes russes.

Le conseiller Myhailo Podolyak a déclaré à l’Associated Press que les autorités ukrainiennes ne connaissaient pas l’état actuel des installations de Tchernobyl, le site de la pire catastrophe nucléaire au monde.

«Après l’attaque absolument insensée des Russes dans cette direction, il est impossible de dire que la centrale nucléaire de Tchernobyl est sûre», a-t-il déclaré.

L’Agence internationale de l’énergie atomique, établie à Vienne, a déclaré avoir été informée par l’Ukraine de la prise de contrôle, ajoutant qu’il n’y avait eu «aucune victime ni destruction sur le site industriel».

Le président ukrainien Volodymyr Zelenskyy avait annoncé plusieurs heures plus tôt jeudi que les forces russes tentaient de s’emparer de la centrale nucléaire de Tchernobyl.

Un réacteur nucléaire de la centrale à 130 kilomètres au nord de la capitale ukrainienne, Kiev, a explosé en avril 1986, envoyant un nuage radioactif à travers l’Europe.

Ce réacteur a été recouvert d’un abri de protection il y a plusieurs années pour éviter les fuites de rayonnement.

Un responsable ukrainien a déclaré que des bombardements russes avaient touché un dépôt de déchets radioactifs et qu’une augmentation des niveaux de radiation avait été signalée. Le responsable a parlé sous couvert d’anonymat pour discuter de cette situation sensible.  

Des objectifs nébuleux

L’attaque vise un pays de la taille du Texas qui se rapprochait de plus en plus de l’Occident et s’éloignait de plus en plus de Moscou. M. Poutine a clairement indiqué plus tôt cette semaine que rien ne justifiait, selon lui, l’existence de l’Ukraine, suscitant des craintes d’un conflit plus large dans la région que l’Union soviétique contrôlait auparavant.

M. Poutine a nié avoir l’intention d’occuper l’Ukraine, mais ses objectifs exacts demeurent nébuleux.

La situation sur le terrain est tout aussi confuse. Des journalistes de l’Associated Press ont vu ou confirmé des explosions dans la capitale, à Marioupol sur la mer d’Azov et à Kharkiv, dans l’est du pays. L’AP a aussi confirmé l’authenticité d’une vidéo montrant des véhicules militaires russes qui entrent dans le nord de l’Ukraine, depuis le Bélarus, et dans le sud, depuis la Crimée annexée par la Russie en 2014.

Les gouvernements des États-Unis, de l’Europe et de l’Asie préparent de nouvelles sanctions après des semaines d’efforts diplomatiques infructueux. Les puissances mondiales ont toutefois indiqué qu’elles ne défendront pas l’Ukraine militairement, même si l’OTAN a commencé à déplacer des forces vers l’est de l’Europe.

«Nous nous réveillons ce matin dans un monde différent», a dit le ministre allemand des Affaires étrangères.

Après avoir nié pendant des semaines vouloir envahir l’Ukraine, M. Poutine a profité d’un discours télévisé pendant la nuit pour dire que l’attaque était nécessaire pour protéger les civils dans l’est du pays — une assertion mensongère que les États-Unis prédisent depuis longtemps qu’il utilisera pour justifier une invasion. Il a reproché à Washington et à ses alliés d’avoir fait fi de ses demandes de sécurité, notamment une promesse que l’Ukraine ne rejoindrait jamais les rangs de l’OTAN.

Les premières attaques sont venues des airs. Les dirigeants ukrainiens ont ensuite décrit des invasions terrestres dans plusieurs régions, et des gardes-frontières ont partagé les images de caméras de sécurité qui montrent des véhicules militaires russes entrant sur le territoire ukrainien depuis la Crimée.

L’armée russe prétend avoir anéanti la totalité des défenses antiaériennes de l’Ukraine en seulement quelques heures, mais ces affirmations sont impossibles à vérifier pour le moment. Les forces ukrainiennes assurent de leur côté avoir abattu plusieurs appareils russes.

Les défenses antiaériennes de l’Ukraine et son armée de l’air datent de l’époque soviétique, et elles paraissent insignifiantes face à la puissance et au degré de sophistication de l’armée russe.

Le président Zelensky et son ministre des Affaires étrangères Dmytro Kuleba ont multiplié les appels à l’aide à la communauté internationale.

L’armée russe aurait lancé des missiles contre des installations de commandement ukrainiennes, des bases aériennes et des dépôts militaires à Kiev, Kharkiv et Dnipro.

Anticipant la réaction de la communauté internationale, M. Poutine a prévenu que «personne ne devrait douter qu’une attaque directe contre notre pays entraînera la destruction et des conséquences horribles pour tout agresseur potentiel».