Des conseillers de Trudeau le mettent en garde contre le «reconstruire en mieux»

OTTAWA — Des documents récemment obtenus montrent que Justin Trudeau a été prévenu de la complexité de tous ces plans lancés un peu partout pour «reconstruire en mieux» après la pandémie — des initiatives qui pourraient entraîner de l’incertitude économique, préviennent les conseillers du premier ministre.

L’idée de rattraper les retards économiques mis au jour par la pandémie est devenue un cri de ralliement pour le Canada et plusieurs de ses alliés, notamment les États-Unis de Joe Biden.

Bien que l’accent soit mis en général sur le renforcement des chaînes d’approvisionnement et des capacités nationales pour produire des biens essentiels, les initiatives «reconstruire en mieux» visent également à faire face aux changements vers des économies numériques et vertes — des changements accélérés par la pandémie.

Les conseillers du premier ministre Trudeau rappellent que les gouvernements qui cherchent à «reconstruire en mieux» pourraient provoquer de «l’incertitude quant aux règles et aux normes, créer des distorsions sur les marchés et moins d’équité concurrentielle».

Les documents de breffage du premier ministre soulignent également l’effet combiné des augmentations de la dette publique, de l’inflation et des taux d’intérêt, un cocktail qui pourrait entraver les efforts de «reconstruire en mieux».

Les documents ont été obtenus par La Presse Canadienne, en vertu de la Loi sur l’accès à l’information, juste avant la clôture vendredi des consultations prébudgétaires à Ottawa.

La ministre des Finances, Chrystia Freeland, est invitée de toutes parts à dépenser pour toutes sortes de demandes énoncées dans quelque 500 soumissions présentées au Comité des finances des Communes — plus de 300 milliards $ en demandes spécifiques. Des milliards de plus sont évoqués dans des soumissions qui demandent un financement important, mais pas spécifique, pour diverses initiatives.

Plusieurs soumissions appellent le gouvernement à maîtriser le déficit fédéral, que le ministère des Finances prévoit à 58,4 milliards $ pour l’exercice qui commence en avril, avant toute nouvelle promesse de dépenses dans le prochain budget.

D’autres demandent à Ottawa d’éliminer des milliards de dépenses dans des programmes comme le système national de garderies, ou d’augmenter les taux d’imposition des sociétés pour accroître les recettes fiscales et faire face à une dette qui devrait atteindre 1200 milliards $ au cours de cet exercice.

Le milieu des affaires et l’incertitude

Les conseillers de M. Trudeau lui rappellent que des niveaux d’endettement plus élevés limitent généralement la capacité des gouvernements à «répondre aux priorités sociales et aux crises futures».

Le Conseil canadien des affaires, qui représente les plus grands employeurs du pays, fait partie des groupes qui exhortent à la prudence en matière de dépenses, affirmant que tout ce qui n’aide pas à la croissance à long terme pourrait nuire aux Canadiens en alimentant une inflation déjà élevée.

Pour ce qui est de «reconstruire en mieux», l’association suggère de travailler en étroite collaboration avec les États-Unis pour freiner les politiques protectionnistes, qui se sont propagées avec une plus grande intensité lorsque des manifestants ont bloqué des postes frontaliers stratégiques.

L’économie fonctionne également à plein régime, selon la plupart des indicateurs. Trop de dépenses à court terme pourraient alimenter les taux d’inflation, qui atteignent des sommets depuis trois décennies.

«Les ménages à faible revenu ont tendance à ressentir davantage les effets (de l’inflation) que les ménages à revenu élevé, il convient donc de faire preuve de prudence en présentant de nouvelles mesures de relance comme des mesures d’abordabilité», a déclaré Rebekah Young, directrice de l’économie fiscale et provinciale à la Banque Scotia.

Lorsque M. Trudeau a reçu son cahier de breffage du Bureau du Conseil privé, la Banque du Canada devait incessamment commencer à augmenter son taux directeur pour lutter contre les taux d’inflation qui n’avaient cessé d’augmenter.

Transition verte 

«Le potentiel d’inflation et de taux d’intérêt plus élevés serait également défavorable aux investissements à grande échelle, peut-être en particulier dans le type de projets envisagés dans une transition énergétique verte», ont écrit des responsables dans le document de breffage.

Un plan visant à stimuler les investissements à grande échelle et la croissance à long terme n’est pas facile à élaborer, en raison de la façon dont il doit être complet et dépendre d’entreprises et d’alliés comme les États-Unis, estime Robert Asselin, vice-président, politiques publiques, au Conseil canadien des affaires. 

M. Asselin, qui a déjà été directeur du budget auprès du premier ministre Trudeau, croit que le gouvernement fédéral devrait envisager des idées de dépenses à plus long terme, plutôt que de se concentrer sur le court terme et alimenter les pressions inflationnistes. 

«Cela pourrait placer l’électorat dans une situation où ce gouvernement ne serait pas perçu comme étant réactif, que ce soit face à l’inflation ou à une sortie de pandémie, ce qui, je pense, mettrait ce gouvernement dans une situation très difficile», a déclaré M. Asselin. 

Rebecca Young croit quant à elle que le budget pourrait contenir d’autres mesures qui ne nécessiteraient pas de nouvelles dépenses, comme des réformes fiscales et réglementaires, saupoudrées aux diverses soumissions prébudgétaires.

Un examen général des dépenses, également réclamé par plusieurs groupes, pourrait mieux hiérarchiser les fonds publics et stimuler les investissements des entreprises nécessaires pour atteindre les objectifs du gouvernement de «mieux reconstruire», estime Mme Young.

«Il appartient maintenant aux décideurs de favoriser un paysage politique crédible et favorable à la croissance», a-t-elle déclaré, en soulignant que l’incertitude ne manque pas à l’heure actuelle et que les actions gouvernementales ne devraient pas y participer.