Fertilité: plaidoyer pour éduquer les hommes le plus tôt possible

MONTRÉAL — La fertilité des hommes est en déclin à l’échelle de la planète depuis plusieurs années, mais le problème reste mal compris et il importe de s’y attaquer dans les plus brefs délais, plaide un groupe de chercheurs internationaux auquel appartient une scientifique montréalaise.

Ce manque de connaissances a notamment pour effet de déplacer le fardeau vers la femme, qui devra subir des procédures de procréation médicalement assistée invasives et risquées dans l’espoir de tomber enceinte, déplorent les auteurs dans le journal médical Nature Reviews Urology.

«Le principal problème est que nous ne connaissons pas les causes de l’infertilité masculine, et le diagnostic et les traitements actuels ne sont pas basés sur les causes, a déploré Sarah Kimmins, qui est professeure à l’Université de Montréal et chercheuse au Centre de recherche du CHUM. C’est une approche ‘one size fits all’.»

Si vous êtes infertile, et si vous êtes un homme, a-t-elle ajouté, il y a «peu d’options de traitement et le diagnostic est vraiment passé date, pratiquement rien n’a changé depuis plus 50 ans. Donc le traitement retombe sur la femme, que le problème de fertilité lui appartienne à elle ou à lui.»

Des études portent toutefois à croire que des facteurs comportementaux et environnementaux jouent un rôle de premier plan dans l’infertilité masculine. L’exposition grandissante aux perturbateurs endocriniens; l’augmentation du nombre d’hommes en surpoids ou obèses; une alimentation déficiente; le stress; la consommation de cannabis ou d’alcool; et le tabagisme et le vapotage sont autant de facteurs dont on doit tenir compte, a énuméré Mme Kimmins.

Un groupe de 25 scientifiques mené par Moira O’Bryan, la doyenne de la faculté des sciences de l’Université de Melbourne, a donc formulé dix recommandations susceptibles d’améliorer la santé des hommes et de leurs enfants, et de réduire la charge pesant sur leurs partenaires féminines.

Au premier plan de celles-ci: davantage de campagnes d’éducation publique pour éduquer les hommes quant aux comportements et aux habitudes de vie qu’ils devraient adopter (ou éviter) pour maximiser leurs chances de pouvoir fonder une famille au cours des prochaines années.

«On souhaiterait que les garçons reçoivent cette éducation en milieu scolaire, quand ils sont jeunes, a dit Mme Kimmins. On doit leur enseigner à protéger leur fertilité, leur montrer ce qu’ils doivent éviter pour réduire le risque d’infertilité plus tard. Les médecins doivent aussi soulever ces facteurs qui peuvent avoir un impact négatif sur la fertilité avec leurs patients masculins.»

Les médecins considèrent trop souvent qu’on dispose d’une solution relativement facile à l’infertilité, déplore-t-elle, sous la forme de la fécondation in vitro. Ils oublient toutefois que tout le fardeau de cette procédure retombe sur les épaules de la femme, même si elle n’a possiblement rien à voir avec le problème de fertilité de son couple.

«C’est vraiment injuste et c’est vraiment inéquitable qu’il n’y ait rien de disponible pour mieux traiter le couple», a dénoncé Mme Kimmins.

Prévention cruciale

La prévention est d’autant plus cruciale, poursuit la chercheuse, qu’on ne sait toujours pas si les dommages qui peuvent avoir été causés sont permanents ou s’ils sont réversibles. Les hommes dont le métier augmente leur risque d’infertilité, comme ceux qui travaillent avec des produits chimiques, devraient donc être sensibilisés à la possibilité de congeler leur sperme avant qu’il ne soit trop tard, a dit Mme Kimmins.

De nombreux hommes ignorent aussi qu’il faut des mois pour produire du sperme. Leur prochaine éjaculation est ainsi en préparation depuis plusieurs semaines.

Ceux qui songent à fonder une famille doivent donc éliminer autant que possible les facteurs qui pourraient nuire à leur fertilité, par exemple en mangeant mieux, en faisant de l’exercice et en dormant bien pendant le plus longtemps possible.

«Ils devraient examiner comment ils mènent leur vie dans la vingtaine avant de penser à avoir une famille dans la trentaine, a prévenu Mme Kimmins. Leurs comportements pourraient avoir un impact négatif sur leur choix d’avoir une famille. Ça pourrait même ne plus être une option pour eux. Ce n’est pas simplement une question d’améliorer la santé de ma fertilité un mois avant (la conception). C’est la responsabilité de toute une vie.»

Il ne s’agit pas non plus de simplement fonder une famille. Par exemple, de plus en plus de preuves scientifiques montrent que les hommes stériles sont plus malades et tendent à mourir plus jeunes que les hommes fertiles. L’incidence de cancer et de maladie cardiovasculaire serait ainsi plus élevée dans ce groupe.

Et au-delà de la fertilité, un sperme de qualité pourra aussi protéger la santé des enfants, et même des petits-enfants, en réduisant le risque de leur transmettre des changements épigénétiques qui pourront se traduire par une multitude de problèmes de santé, de l’obésité aux troubles neurodéveloppementaux.

Paradoxalement, un homme stérile pourrait même transmettre son infertilité à ses descendants lors d’une fécondation assistée médicalement. 

«Les hommes ont (donc) le fardeau de protéger leur santé, de protéger leur fertilité, mais aussi la santé des générations futures», a souligné Mme Kimmins.

L’Organisation mondiale de la santé estime qu’un couple sur six est touché par l’infertilité, et que les hommes sont en cause dans la moitié des cas.