Français et immigration: La Chambre de commerce demande à Québec d’être moins rigide

MONTRÉAL — Les nouvelles exigences que Québec s’apprête à instaurer en matière de connaissance du français chez les nouveaux arrivants sont trop élevées et créent même une barrière «absurde» pour les étudiants des universités anglophones.

C’est du moins ce que dénoncent la Chambre de commerce du Montréal métropolitain (CCMM) et son président, Michel Leblanc, qui demandent à la ministre de l’Immigration, Christine Fréchette, de ne pas se «tirer dans le pied» en resserrant trop les exigences dans son projet de modifications du Règlement sur l’immigration.

Dans son mémoire présenté à la ministre en marge des consultations menées par celle-ci, la Chambre applaudit l’idée d’élargir l’admissibilité au Programme d’expérience québécoise (PEQ). Elle se réjouit ainsi de voir que l’on n’exigera plus des diplômés du Québec qu’ils aient aussi acquis une expérience de travail à la suite du programme d’études et qu’ils occupent un emploi au moment de la demande.

Étudiants d’universités anglophones écartés

Toutefois, la Chambre s’oppose à la volonté de Québec d’exiger que les candidats étudiants aient effectué un programme d’études en français au Québec ou qu’ils aient réussi au moins trois ans d’études secondaires ou postsecondaires à temps plein en français, au Québec ou à l’extérieur. 

Un tel critère, souligne-t-elle, viendrait fermer les portes aux étudiants des universités anglophones comme McGill et Concordia, ce qui, selon elle, «aurait non seulement un impact sur l’attractivité du Québec, mais aussi sur les inscriptions auprès de ces institutions».

«Ce serait absurde»

Pour la Chambre, si des étudiants étrangers veulent étudier dans des universités anglophones au Québec, apprendre le français et s’y installer de manière permanente, il est «impératif» qu’ils bénéficient des mêmes occasions que les étudiants des universités francophones : «Il serait absurde de se priver de l’apport d’étudiants de ces institutions qui auraient fait l’effort d’apprendre le français durant leurs études», écrit-on dans le mémoire. 

En entrevue, son président revient à la charge : «Ça serait absurde de dire à cette personne-là : « sais-tu, c’est plus compliqué, parce que tu es allé à McGill, parce que tu es allé à Concordia ». Le mot absurde, je le pense vraiment.» 

Maraudage du ROC facilité

On sent très bien dans ses propos la crainte de voir le reste du Canada profiter indûment des exigences du Québec : «Oui, protéger le français, mais ne pas ouvrir trop grande la porte au reste du pays qui va vouloir venir marauder les étudiants dans nos universités anglophones d’ici, qui auraient fait l’effort d’apprendre le français, mais qui se retrouveraient à la fin avec une incertitude s’ils restent au Québec quant à leur statut éventuel, versus quelque chose qui est très simple et immédiat dans le reste du pays.»

Michel Leblanc souligne que même ceux qui étudieront dans les universités françaises devront démontrer, pour être admissibles au PEQ, qu’ils ont une connaissance du français écrit de niveau 5. Il estime que les diplômés d’institutions anglophones qui auront acquis ce niveau de connaissance devraient être admis au même titre que ceux issus des institutions francophones.

Évaluation du niveau de connaissance

Le niveau 5 est tiré d’une échelle de 1 à 12 qu’utilise le gouvernement du Québec pour évaluer la connaissance du français des personnes immigrantes adultes. Le niveau 5 est le premier échelon de connaissances que l’on qualifie d’intermédiaire et exige, en matière de production écrite, que la personne soit capable de rédiger «un court texte structuré qui exprime plusieurs idées et qui présente plusieurs faits malgré de nombreuses erreurs».

Cette question de niveau de connaissance du français revient dans d’autres types de programmes, notamment dans le nouveau Programme de sélection des travailleurs qualifiés, qui remplace un programme similaire. Pour certains types d’emplois, la Chambre estime que l’exigence du gouvernement Legault de posséder une connaissance du français oral de niveau 7 et du français écrit de niveau 5 est «excessive», et demande qu’elle soit ramenée au niveau 5 dans les deux cas.

Le Canada plus attractif

«Le niveau 7 n’est pas nécessaire et le gouvernement le reconnaît, souligne à gros traits Michel Leblanc. Dans plusieurs emplois, il dit que le niveau 5 est suffisant. Si c’était pour des raisons de santé et de sécurité au travail, de dire: s’il n’a pas un niveau 7 ça pourrait devenir dangereux, c’est l’entreprise elle-même qui doit faire ça. Ce n’est pas le gouvernement dans sa politique d’accueil de travailleurs immigrants de déterminer que c’est un niveau 7 qui est exigé.»

La Chambre fait la même demande pour les programmes d’immigration de gens d’affaires – investisseurs, entrepreneurs et travailleurs autonomes – faisant valoir que l’exigence au niveau canadien est de niveau 5 en français ou en anglais. Le reste du Canada devient donc plus attractif que le Québec, conclut la CCMM.

Des tests québécois réclamés

Enfin, la Chambre demande à Québec de corriger un irritant maintes fois soulevé, à savoir que les tests de français administrés aux nouveaux arrivants sont faits en France : «Ils ne reflètent pas la réalité québécoise et présentent une proportion importante de références culturelles européennes qui peuvent créer de la confusion chez les candidats», déplore-t-elle, faisant valoir que le Québec a nombre d’institutions capables d’élaborer des tests plus adaptés aux réalités d’ici.

Pour la Chambre de commerce, l’ajout d’obstacles à l’entrée de nouveaux arrivants vient freiner la lutte contre la pénurie de main-d’œuvre alors que le Québec comptait environ 196 500 postes vacants au premier trimestre de 2023. Elle rappelle que la très vaste majorité des nouveaux arrivants s’installent toujours dans la région métropolitaine de Montréal, qui a grandement besoin de cette force de travail renouvelée.