Les États-Unis limitent l’accès des Canadiens à une bibliothèque transfrontalière
STANSTEAD — La Ville de Stanstead, en Estrie, a affirmé vendredi que les autorités américaines ont décidé unilatéralement de fermer l’entrée principale canadienne de la bibliothèque de style victorien située à cheval sur la frontière entre les deux pays.
Depuis des décennies, les visiteurs canadiens peuvent traverser la frontière jusqu’à Derby Line, au Vermont, pour accéder à la bibliothèque publique et à la salle d’opéra Haskell sans avoir à franchir un point de contrôle ni à présenter de passeport.
Survenant dans un contexte de tensions accrues entre les deux pays, cette décision suscite une vive émotion dans les communautés des deux côtés de la frontière.
À l’intérieur de la bibliothèque célébrée comme un symbole de l’amitié internationale, Pauline Lussier et Chris Blais se sont passé le bras autour des épaules vendredi, alors qu’ils se tenaient de part et d’autre de la ligne de démarcation située au sol pour marquer la frontière. Mme Lussier, une Canadienne, et M. Blais, un Américain, se sont rencontrés pour la première fois ce jour-là.
«Une ligne ne nous sépare pas, elle ne l’a jamais fait», a affirmé M. Blais, tenant un drapeau américain dans ses mains, tandis que Mme Lussier tenait un drapeau canadien.
«Nos enfants ont traversé cette frontière sans le moindre problème (…) tout cela va changer, et il n’y a aucune raison à cela», a ajouté M. Blais.
Une fois à l’intérieur de la bibliothèque, les citoyens canadiens et américains ont pu se mêler librement de l’autre côté de la frontière tracée au sol, à condition de retourner ensuite dans leur pays d’origine.
En 2016, le président de l’époque, Barack Obama, a salué l’importance symbolique de la bibliothèque construite en 1901. «Un habitant d’une de ces villes frontalières a dit un jour : « Nous sommes deux pays différents, mais nous formons une seule grande ville »», avait raconté M. Obama.
Des raisons de sécurité évoquées
Un porte-parole du Service des douanes et de la protection des frontières des États-Unis (CBP) a confirmé que la fracture allait s’accentuer. À partir des prochains jours, seuls les détenteurs d’une carte de bibliothèque et les employés pourront traverser la frontière depuis le Canada pour entrer dans le bâtiment par la porte principale, du côté américain.
À compter du 1er octobre, aucun Canadien ne pourra entrer dans la bibliothèque via les États-Unis sans passer par le poste-frontière. Des exceptions seront toutefois prévues pour les forces de l’ordre, les services d’urgence, la distribution du courrier, les fonctionnaires et les personnes ayant un handicap.
La déclaration reconnaît que la bibliothèque est un «site unique», mais précise que l’agence frontalière met progressivement en place une nouvelle approche pour des raisons de sécurité.
«En raison de l’emplacement de la bibliothèque et de la commodité pour les populations locales, le CBP autorise les usagers de la bibliothèque à accéder à son trottoir sans inspection depuis des décennies, a indiqué l’agence dans un communiqué. Cependant, pendant cette période, cette zone a connu une augmentation continue des activités transfrontalières illicites.»
L’agence a souligné que plusieurs incidents se sont produits à l’intérieur et aux alentours de la bibliothèque, entraînant des arrestations ces dernières années, notamment une tentative de contrebande d’armes à feu l’année dernière.
Les responsables de la Ville et de la bibliothèque indiquent que les visiteurs canadiens sans carte de bibliothèque devront entrer par une porte arrière du côté canadien, à travers une étendue d’herbe boueuse. La bibliothèque a annoncé vendredi le lancement d’une campagne GoFundMe pour collecter les 100 000 $ nécessaires à la construction d’un trottoir, d’un nouveau stationnement et d’un accès pour fauteuils roulants.
Des communautés frontalières aux liens étroits
Le maire de Stanstead, Jody Stone, a déclaré que la décision américaine «n’avait aucun sens». Il a toutefois affirmé que la décision de l’administration du président américain Donald Trump n’affecterait pas les liens étroits qui unissent les deux communautés, qui partagent des services et des installations municipaux.
«Peu importe ce que fait cette administration, cela ne changera rien au fait que Stanstead et Derby Line sont partenaires et amis pour toujours, a-t-il affirmé. Nous avons trop de raisons de chérir notre relation, et ce n’est pas un homme seul qui changera cela.»
Plusieurs résidents, certains en larmes, se sont rassemblés à la frontière pour dénoncer cette décision. Penny Thomas se tenait du côté américain, brandissant une pancarte ornée d’une feuille d’érable sur laquelle était écrit : «Gardez Haskell ouvert».
«Je suis ici pour dire que tous les Américains ne pensent pas que les Canadiens devraient être punis pour ce qu’ils sont», a déclaré Mme Thomas, les larmes aux yeux. «Les Canadiens ont le droit d’aller à la bibliothèque.»
En février, le Boston Globe rapportait que la secrétaire américaine à la Sécurité intérieure, Kristi Noem, avait visité la bibliothèque et répété les railleries du président Trump concernant la transformation du Canada en 51e État, alors qu’elle traversait la frontière.
Selon le site web de la bibliothèque, les visiteurs canadiens avaient été autorisés à entrer par l’entrée principale, du côté américain. Bien que les passeports et les visas ne soient pas nécessaires, les responsables de la bibliothèque avaient averti que la police frontalière américaine et la Gendarmerie royale du Canada surveilleraient les déplacements et pouvaient exiger des pièces d’identité.
La députée libérale locale, Marie-Claude Bibeau, qui ne se représente pas aux prochaines élections, a indiqué vendredi que le gouvernement cherchait des moyens de soutenir la bibliothèque. «Notre communauté frontalière est forte et cela ne fera que renforcer notre force et nos liens», a-t-elle soutenu.