L’invasion de l’Ukraine dérègle aussi le marché du blé dans le monde

OTTAWA — L’invasion de l’Ukraine par la Russie a provoqué des perturbations majeures dans le programme des Nations unies qui lutte contre la faim dans le monde, a prévenu lundi Justin Trudeau, de passage à Londres. 

«Le défi actuel de l’invasion illégale de l’Ukraine par la Russie a des répercussions dans le monde entier, non seulement sur les prix de l’énergie pour les Canadiens et les Européens, mais aussi pour les habitants du Sud», par le biais du Programme alimentaire mondial (PAM) des Nations unies, a déclaré le premier ministre lundi à Londres, au premier jour d’un voyage en Europe visant à travailler avec des alliés pour répondre à l’invasion russe. 

L’Ukraine est l’un des principaux exportateurs de blé dans le monde; depuis l’attaque de la Russie, les prix mondiaux du blé ont atteint des niveaux jamais vus depuis 2008.

Sandra McCardell, sous-ministre adjointe à Affaires mondiales Canada, déclarait la semaine dernière devant un comité sénatorial qu’il y aurait «un large éventail de retombées» de cette invasion russe, y compris des pénuries alimentaires dans les pays en développement qui importent de grandes quantités de blé ukrainien.

«Les agences de l’ONU examinent toutes les éventualités (…) Il ne s’agira pas seulement de l’Ukraine et de la Russie, nous devons absolument être prêts», a-t-elle déclaré jeudi devant le comité sénatorial des affaires étrangères. 

Le sénateur Peter Harder, vice-président du comité, a déclaré en entrevue que les répercussions de l’invasion russe se feraient sentir dans le monde entier. Dans de nombreux pays, le pain est un aliment de base, et un grand nombre de pays d’Asie et du Moyen-Orient importent du blé de Russie et d’Ukraine. Le sénateur Harder a indiqué que le Liban importait 50 % de son blé d’Ukraine, la Libye 43 %, le Yémen 22 % et le Bangladesh 21 %.

La saison des semences en Ukraine devrait commencer ce mois-ci. Or, certains agriculteurs dépendent de travailleurs étrangers, qui fuient actuellement le pays ou ne veulent pas y aller. 

Les producteurs de blé canadiens préviennent que l’invasion russe rendrait extrêmement difficile pour les agriculteurs ukrainiens de planter leurs semences.

Dave Quist, directeur de l’association des producteurs de blé de l’Ouest canadien, a déclaré que les agriculteurs ukrainiens étaient «très inquiets de ne pas pouvoir du tout se rendre sur leurs terres». Par ailleurs, il doute que ceux qui réussissent à semer ce printemps puissent récolter en août ou en septembre.

Flambée des prix

La Russie et l’Ukraine exportent ensemble plus d’un quart des approvisionnements mondiaux en blé et le conflit a déjà entraîné une flambée des prix de cette céréale. Les prix à terme du blé américain ont atteint un sommet en 14 ans la semaine dernière, les importateurs cherchant désespérément à trouver des approvisionnements pour combler le vide créé par la guerre en Ukraine.

Le Canada est un gros exportateur de blé, avec les États-Unis, et les agriculteurs pourraient profiter de cette hausse du prix du blé. Mais la plupart des agriculteurs canadiens ont déjà acheté leurs semences pour la récolte de cette année et auraient du mal à se retourner rapidement et planter plus de blé ce printemps, s’ils ne se sont pas préparés à le faire, a expliqué M. Quist. Par ailleurs, certains ont déjà vendu leurs récoltes à des prix inférieurs avant l’invasion, a-t-il dit.

Par contre, l’Argentine et l’Australie, qui sèment plus tard que le Canada et les États-Unis, pourraient avoir le temps de planter plus de blé cette année afin de répondre à la demande mondiale accrue, selon M. Quist.

Avec des sanctions plus sévères de la communauté mondiale contre le régime du président Vladimir Poutine, les exportations de blé russe risquent également d’être perturbées. 

Et l’Ukraine fait aussi face à ses propres pénuries alimentaires, avec la fermeture des magasins, la conscription des hommes et les lignes d’approvisionnement habituelles bloquées par l’armée russe.

Même si le Canada exporte du blé, la baisse de l’offre mondiale entraînera probablement une hausse du prix d’une miche de pain au pays. 

La députée néo-démocrate Rachel Blaney a déploré que ce qui se passait en Ukraine puisse aggraver les inégalités existantes au Canada. Elle a rappelé que certains Canadiens avaient déjà du mal à payer l’épicerie et que de plus en plus de gens, même ceux qui ont un emploi, se tournent vers les banques alimentaires.