PL68: on craint un transfert de la charge des médecins vers d’autres professions
MONTREAL — Le gouvernement du Québec veut réduire la charge fastidieuse des longs formulaires d’assurance que doivent remplir les médecins. Bien qu’en somme cela soit applaudi, des élus et l’Association des psychologues craignent que cette tâche administrative soit transférée aux autres prestataires de soin.
Les parlementaires ont entendu plusieurs organisations mardi, dont le Collège des médecins du Québec (CMQ) et la Fédération des médecins spécialistes du Québec (FMSQ), dans le cadre des consultations particulières sur le projet de loi 68, visant principalement à réduire la charge administrative des médecins.
Le projet de loi vise essentiellement à interdire à des assureurs de requérir un service médical pour l’obtention d’un remboursement dans certains contextes, notamment les services professionnels dispensés par des psychologues, des ergothérapeutes et des physiothérapeutes. «Ça nous apparaît extrêmement important de permettre le remboursement sans exiger un certificat médical», a déclaré le ministre du Travail, Jean Boulet.
Il a cité en exemple que les employeurs ne pourront plus exiger un certificat médical pour des violences à caractère sexuel, des maladies banales telles qu’une gastroentérite et pour les proches aidants qui doivent s’absenter du travail.
M. Boulet veut aussi que les personnes ayant besoin d’aides techniques (cannes, béquilles, etc.) n’aient plus besoin d’un papier médical pour un remboursement.
Le porte-parole de Québec solidaire en matière de santé, Vincent Marissal, a souligné que si le projet de loi décharge la responsabilité des formulaires auprès de médecins, «qu’il est possible que les compagnies d’assurance ne plient pas si facilement et ne fassent que transférer la responsabilité à d’autres professionnels».
Le président de l’Association des psychologues du Québec, Gaëtan Roussy, craint ce scénario. Il ne voudrait pas que les demandes pour les assurances se retrouvent sur les bureaux des psychologues qui n’arrivent déjà pas à répondre à la demande croissante de la population pour leurs services.
Le ministre Boulet s’est voulu rassurant. «On ne veut pas qu’il y ait un refoulement comme [présentement] dans certains cas. Des assureurs refoulent du travail qui relève des expertises d’un psychologue dans les bureaux d’un médecin. Ce qui n’est pas utile, car ça leur occasionne un fardeau qui souvent ne relève pas de leur domaine de compétence et ça nuit à l’accès d’autres personnes qui auraient vraiment besoin d’un travail clinique.»
La FMOQ tamise les attentes sur les rendez-vous dégagés
Selon la Fédération des médecins omnipraticiens du Québec (FMOQ), le fait de réduire la charge des formulaires d’assurance aux médecins ne permettra pas d’augmenter de manière importante le nombre de rendez-vous offerts. Cela sera surtout utile pour diminuer la surcharge de travail des médecins et d’utiliser «la plage horaire de façon beaucoup plus pertinente et optimale».
«Il y a de la paperasse qui est effectuée en cabinet et il y a aussi de la paperasse qui est effectuée en [heures supplémentaires] le soir et la fin de semaine en dehors du cabinet. Donc, il y a une portion qui va être disponible pour de la marge de manœuvre supplémentaire, mais il y a une portion qui ne sera pas disponible pour des gains concrets en termes d’accessibilité aux patients, mais qui vont avoir un effet important sur la surcharge de travail des médecins quand ils effectuent ce travail le soir et la fin de semaine», a déclaré le président de la FMOQ, Dr Marc-André Amyot.
M. Boulet a précisé que d’augmenter le nombre de rendez-vous n’était pas l’objectif de ce projet de loi, mais que le gouvernement évaluait que l’ensemble des mesures allait potentiellement libérer 600 000 «rendez-vous sans valeur ajoutée» par année.
Le Dr Amyot a également parlé du problème des patients qui ne se présentent pas à leur rendez-vous médical. «Il faut absolument travailler avec le ministère pour enrayer ce fléau. L’an dernier, c’est 162 000 rendez-vous qui nous ont été rapportés», a-t-il dit.
Selon lui, les patients ont de la difficulté à annuler leur rendez-vous via le Guichet d’accès à la première ligne (GAP) ou le Rendez-vous santé Québec (RVSQ). «Il faut travailler ensemble pour améliorer le mécanisme d’annulation», plaide Dr Amyot.
Pas d’impact pour la moitié des spécialités
Du côté de la FMSQ, on appuie le projet de loi, mais on trouve que «ça ne va pas assez loin, on gratte seulement la surface». Le président, Dr Vincent Oliva, a fait savoir que les mesures du projet de loi 68 auront peu ou pas d’impact pour près de la moitié des 35 associations de médecins spécialistes qu’il représente.
«Le projet de loi, ce n’est pas une finalité en soi», a assuré le ministre Boulet. Il a rappelé que son gouvernement a déjà diminué la charge administrative dans des contextes d’accident de travail et de maladie professionnelle avec la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (CNESST).
Avec le projet de loi 68, le gouvernement veut en plus enlever l’obligation d’aller voir un médecin à des fréquences prédéterminées et laisser la détermination des fréquences au professionnel qui a pris en charge le patient.
Des formulaires trop longs
Tous les professionnels de la santé qui ont témoigné de leur réalité aux élus en matinée ont souligné l’aberration des longs formulaires des compagnies d’assurance privée, mais aussi du réseau public, dont la Régie de l’assurance maladie du Québec (RAMQ), la CNESST et Retraite Québec.
Le CMQ veut que Québec retire l’obligation d’obtenir l’ordonnance d’un médecin pour accéder à des services assurés par la RAMQ quand une évaluation par un autre professionnel de la santé a été complétée. Avec la FMSQ, le CMQ déplore que cela enlève aux médecins du temps précieux avec leurs patients alors que les autres professionnels ont déjà démontré la nécessité d’un soin.
Le Dr Alain Naud, médecin de famille depuis 39 ans, dénonce que «tout doit passer par le médecin». C’est le cas par exemple d’un podiatre qui détermine que son patient a besoin d’une prothèse de pied.
Actuellement, pour un audiologiste qui prescrit un appareil auditif, la RAMQ exige que l’ordonnance soit faite par un médecin otorhinolaryngologie. «Il y a là, à mon avis, un abus dans de telles situations», commente le président du CMQ, Dr Mauril Gaudreault.
Il a dit que le Collège milite depuis longtemps pour plus de latitude aux professionnels de la santé. «Pour nous, une fois qu’un professionnel compétent a procédé à l’évaluation d’une personne, qu’il a identifié le soin, le service ou l’équipement qui est requis, il est superflu d’aller systématiquement chercher l’ordonnance d’un médecin. C’est une mesure d’une autre époque. C’est inutilement lourd. Nous n’en voyons vraiment pas la valeur ajoutée pour le réseau et pour la population», a-t-il déclaré.
Il affirme qu’il y a de nombreux exemples pour lesquels on demande l’ordonnance d’un médecin alors que le patient a été évalué par un autre professionnel. «Ça n’a pas de bon sens de fonctionner comme ça, de demander à un professionnel de signer quelque chose pour un patient qu’il n’a même pas vu.»
D’autre part, le CMQ et la FMSQ souhaitent qu’un comité multipartite soit formé pour étudier la pertinence des formulaires. Il aurait pour mandat d’abréger des formulaires, de les fusionner et dans certains cas de les abolir. «C’est pour faciliter la tâche du médecin, mais c’est encore bien plus. […] De faire en sorte que le parcours du patient ne devienne pas celui d’un parcours du combattant», commente Dr Gaudreault. L’Association des psychologues s’est dite disponible pour participer au comité.
Le projet de loi 68 impliquerait de modifier deux lois: la Loi favorisant l’accès aux services de médecine de famille et de médecine spécialisée ainsi que la Loi sur les normes du travail.
Mercredi, les parlementaires entendront l’Association médicale canadienne et l’Association canadienne des compagnies d’assurances de personnes.
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