Réfugiés irréguliers: les États-Unis disposés à négocier selon l’ambassadrice Hillman

WASHINGTON — L’ambassadrice du Canada aux États-Unis assure que l’administration du président Joe Biden n’écarte pas d’emblée l’idée de renégocier le traité bilatéral de 2004 qui régit le flux de demandeurs d’asile à la frontière canado-américaine.

L’ambassadrice Kirsten Hillman, qui est à Ottawa pour se préparer à l’arrivée imminente de Biden jeudi, affirme en entrevue à La Presse Canadienne que l’administration comprend comment l’Accord sur les tiers pays sûrs affecte le flux de migrants à la frontière canado-américaine.

Étant donné que ces migrants voyagent dans les deux sens, il serait dans l’intérêt des deux pays de prendre des mesures pour décourager les réfugiés potentiels de franchir la frontière sans être détectés, a-t-elle reconnu.

«Je pense que cela profite aux deux pays, et je pense en fait qu’ils le reconnaissent», indique Mme Hillman.

«Je dirais qu’il y a en fait beaucoup de bonne volonté du côté américain pour nous écouter parler de ce défi auquel nous sommes confrontés.»

L’Entente sur les tiers pays sûrs, signé en 2002 et mis en œuvre en 2004, oblige les demandeurs d’asile à faire leur demande dans le premier pays où ils arrivent, permettant aux agents des douanes de les détourner des points d’entrée officiels séparant les deux pays. 

Cependant, l’entente ne couvre pas les réclamations faites par les migrants qui parviennent à entrer dans l’un ou l’autre pays entre les passages officiels, comme celui du chemin Roxham au Québec, le point d’entrée non officiel le plus achalandé au Canada.

Plus de 39 000 réclamations ont été déposées en 2022 par des personnes interceptées par la Gendarmerie royale du Canada (GRC), la grande majorité d’entre elles au Québec, incitant le premier ministre québécois François Legault à demander expressément l’aide du premier ministre Justin Trudeau.

«Ils se soucient de ce défi auquel nous sommes confrontés, précise l’ambassadrice. Cela existe simplement dans un contexte beaucoup plus large qui est profondément compliqué.»

Cela, bien sûr, inclut la frontière américano-mexicaine beaucoup plus problématique, où les agents et les fonctionnaires ont signalé près de 2,4 millions de «rencontres» au cours de l’exercice 2022 et ont dépassé la barre du million au cours des cinq premiers mois de l’exercice 2023.

La Maison-Blanche et le bureau du premier ministre ont tous deux reconnu que la migration irrégulière serait à l’ordre du jour des réunions de cette semaine, dans le cadre de la première visite de Joe Biden au Canada depuis son entrée en fonction en 2021.

Le porte-parole du Conseil de sécurité nationale, John Kirby, n’a pas dit expressément mercredi si les États-Unis soutiendraient l’ouverture du traité aux négociations.

«Sur les questions de migration, nous sommes bien conscients des préoccupations canadiennes. Nous avons nos propres préoccupations», indique M. Kirby lors du breffage quotidien de la Maison-Blanche.

«Il y a plus de personnes en mouvement dans cet hémisphère qu’il n’y en a eu depuis la Seconde Guerre mondiale, et cela affecte nos deux pays… C’est un défi régional partagé, donc je ne doute pas qu’ils en discuteront.»

La sécurité énergétique, les efforts en cours pour réduire les émissions climatiques, le développement et le traitement des minéraux critiques et la modernisation du système de défense continental partagé connu sous le nom de Norad seront également à l’ordre du jour, ajoute-t-il.

Lors du Sommet des Amériques de l’été dernier, le Canada a adopté une approche holistique à un problème qui s’est manifesté dans le monde ces dernières années, exacerbé par l’impact économique de la COVID-19, la guerre en Ukraine, les dirigeants autocratiques et les changements climatiques.

Le Canada a accepté de dépenser 26,9 millions $ en 2022 pour ralentir le flux de migrants en provenance d’Amérique latine et des Caraïbes, ainsi que 118 millions $ pour des initiatives progressistes visant à améliorer la vie des personnes là où elles vivent déjà.

Cela comprenait 67,9 millions $ pour promouvoir l’égalité des sexes ; 31,5 millions $ en dépenses de santé et d’intervention en cas de pandémie ; 17,3 millions $ pour la gouvernance démocratique et 1,6 million $ pour l’accès numérique et les mesures anti-désinformation.

«Ce n’est pas que les États-Unis ne veulent pas parler de la manière dont ces défis se manifestent à la frontière canado-américaine», souligne Mme Hillman.

«Cela fait partie de ce dont nous parlons. Mais ce n’est qu’une partie de ce dont nous parlons. Ce dont nous parlons vraiment, c’est de cette crise de la migration.»

Cela a longtemps été un problème politique pour M. Biden, et cela le devient également pour M. Trudeau.

Aux États-Unis, les républicains aiment vanter une approche dure et de tolérance zéro à la frontière sud, dépeignant les démocrates comme indulgents en matière d’immigration. Certains veulent même voir le secrétaire à la Sécurité intérieure Alejandro Mayorkas destitué.

La frontière nord — longtemps considérée comme docile — a été entraînée dans la mêlée le mois dernier avec le lancement du Northern Border Security Caucus, un groupe de législateurs républicains au Capitole qui disent craindre une marée montante de migrants se glissant aux États-Unis depuis le Canada.

M. Trudeau s’est efforcé mercredi de réduire les attentes d’une avancée lors de la visite du président qui résoudrait l’épineuse question du chemin Roxham.

«Il s’agit d’un problème profond, important et complexe qui implique des personnes vulnérables, qui implique la souveraineté, qui implique de garantir à nos propres citoyens que nous disposons d’un système d’immigration et d’asile solide et efficace», affirme-t-il.

«Ce sont des choses à prendre au sérieux. Nous travaillons en étroite collaboration avec les Américains depuis de nombreux mois et nous espérons avoir une annonce bientôt.»

Les États-Unis ont un problème de migration irrégulière à leur frontière nord — et cela semble s’aggraver.

D’octobre 2022 à février de cette année, le service des douanes et de la protection des frontières des États-Unis, l’U.S. Customs and Border Protection, a enregistré 68 784 rencontres à la frontière canado-américaine ou à proximité avec des personnes jugées interdites de territoire, dont 13 053 au cours du seul mois dernier.

C’est plus du double des 31 119 rencontres qui ont eu lieu au cours des cinq mêmes mois de l’année précédente, et plus de la moitié des 109 535 signalées au cours de l’ensemble des 12 mois de l’exercice 2022.

C’est un problème qui exige plus que de simples solutions rapides, souligne mercredi le ministre canadien de l’Immigration, Sean Fraser.

«Il est très important que nous continuions à travailler avec nos partenaires aux États-Unis, mais ce n’est pas nécessairement quelque chose sur lequel nous devons marchander», dit M. Fraser.

Une solution durable nécessitera un large soutien multilatéral pour s’attaquer aux causes profondes de la migration irrégulière non seulement au Canada et aux États-Unis, mais dans tout l’hémisphère et dans le monde entier, ajoute-t-il.

«Quelle que soit la solution vers laquelle nous travaillerons, entre le Canada et les États-Unis, nous savons que la migration irrégulière est un problème d’intérêt local qui nécessitera une coopération à long terme», indique M. Fraser.

«J’ai l’impression que les États-Unis sont prêts à être un bon partenaire parce qu’ils se soucient de ces questions plus qu’ils ne veulent obtenir du Canada des engagements qui servent leurs intérêts exclusifs.»