Salve de critiques contre l’adoption précipitée de la réforme Dubé
MONTRÉAL — Huit mois après avoir déposé sa volumineuse réforme du réseau de la santé avec laquelle il promettait que «les colonnes du temple (allaient) shaker», le ministre Christian Dubé est pressé d’en finir et d’adopter sa «Loi visant à rendre le système de santé et de services sociaux plus efficace» sous bâillon. Plusieurs groupes déplorent cet empressement et s’inquiètent des conséquences d’une telle précipitation.
Du côté des Médecins québécois pour le régime public (MQRP), on s’interroge sur le bien-fondé d’adopter la réforme à toute vapeur alors qu’il reste des centaines d’articles qui n’ont pas été analysés et débattus en commission parlementaire. Surtout que ces médecins sont convaincus que la réforme ne va rien régler du tout.
«(Elle) risque même, en fait, de fragiliser notre réseau de la santé», estime la Dre Camille Pelletier-Vernooy.
«On devrait prendre le temps de vraiment bien analyser ce projet-là, puis en discuter en société avant de l’adopter comme ça avant Noël, renchérit la Dre Pelletier-Vernooy. Surtout que dans sa forme actuelle ça ne va pas régler la crise dans les urgences ou le manque de main-d’œuvre ou les conditions de travail ou même la structure de gouvernance.»
Ce point de vue est partagé par la Fédération des médecins omnipraticiens du Québec (FMOQ). De l’avis de son président, le Dr Marc-André Amyot, il s’agit d’un nouveau «brassage de structure» qui ne s’attaque à aucun des réels problèmes d’accès aux soins.
«Est-ce que ça va améliorer les choses? Je suis sceptique, partage-t-il. Ce sont des actions concrètes dont le terrain a besoin et on ne peut pas faire ça en vase clos. On ne peut pas faire ça dans une tour d’ivoire. Il faut faire ça en collaborant.»
Malgré ses grandes inquiétudes par rapport à cette énième réforme de structure, le Dr Amyot promet que les médecins de famille vont continuer de travailler pour le bien des patients. Or, il ne voit toujours pas comment la réforme Dubé viendra améliorer l’accès aux soins et encore moins les conditions de travail du personnel.
La Fédération interprofessionnelle de la santé du Québec (FIQ), qui représente plus de 80 000 infirmières, infirmières auxiliaires, inhalothérapeutes et perfusionnistes, dénonce le recours au bâillon pour faire adopter un projet de loi «qui va bouleverser le réseau public de la santé».
«Sincèrement, adopter un projet de loi aussi important, aussi volumineux, à la hâte alors qu’il n’y a aucune raison d’écourter les discussions, c’est totalement antidémocratique et sans fondement. Ce gouvernement aime parler de « courage politique ». Ici, c’est de la témérité politique», affirme Françoise Ramel, vice-présidente de la FIQ.
La FIQ estime que le projet de loi 15 entraînera des conséquences néfastes pour les professionnelles en soins, notamment en créant un employeur unique et en éloignant la prise de décision du plancher.
Un projet de société
«C’est notre projet de société qui est en jeu», s’insurge à son tour la porte-parole de la Coalition solidarité santé, Lise Goulet. Parlant au nom de 38 groupes incluant des syndicats et des organismes communautaires, elle affirme qu’il y a beaucoup de «gens en colère» qui ne veulent pas laisser «une poignée d’élus jouer comme ça avec notre destinée».
L’élément qui irrite le plus cette coalition, c’est la tendance de fond qui vient ouvrir les portes toutes grandes au privé dans les soins de santé. Lise Goulet souligne que toutes les tentatives d’amendements visant à assurer «la primauté du caractère public du réseau» ont été vaines.
À son avis, la manière dont le ministre s’y prend pour imposer sa vision va braquer ceux qui portent le réseau à bout de bras. Elle lui reproche de ne pas avoir laissé le temps aux gens de bien comprendre les ramifications de sa réforme, puis de ne pas les avoir écoutés.
Rappelons que le projet de loi 15 est l’un des plus imposants jamais étudiés par l’Assemblée nationale. Dans sa version originale, il comptait 1180 articles venant réécrire entièrement l’actuelle Loi sur les services de santé et les services sociaux. L’élément majeur au cœur de la réforme consiste en la création d’une société d’État nommée Santé Québec qui aura le mandat de gérer les opérations du réseau de la santé.
«Le ministre a dit que ça lui prenait l’adhésion et la collaboration de tous les travailleurs pour que son plan fonctionne. Comment voulez-vous qu’on adhère, qu’on mobilise et qu’on collabore quand, un, on n’est pas d’accord. Deux, on ne comprend pas. Puis, trois, il y a eu un bris de confiance», résume-t-elle en entrevue à La Presse Canadienne.
Pour la Coalition solidarité santé, l’urgence démontrée par le ministre trahit le fait que des travaux sont déjà en cours et que le gouvernement s’est donné un calendrier serré pour enclencher les prochaines étapes.
Processus bâclé et improvisation
Depuis le début de la démarche, en mars dernier, l’Association des conseils multidisciplinaires du Québec (ACMQ) considère que le processus est «bâclé» et empreint d’«improvisation».
Là aussi, on déplore des consultations expéditives en amont de l’étude du projet de loi, puis l’ajout de dizaines d’amendements en cours de route, ce qui laisse croire à un manque de préparation et de rigueur dans la rédaction initiale du projet de loi, soutient-on.
«Je n’en reviens pas encore du fait que c’est tellement un gros projet, qui aura tellement d’impacts, et que ça peut être adopté aussi rapidement», s’étonne la présidente de l’ACMQ, Marie-Andrée Périgny. «Même si oui, ça fait quand même longtemps qu’on est dedans, c’est tellement un projet important, c’est tellement collectif, enlevons la partisanerie, puis prenons le temps tout le monde ensemble pour bien le faire», poursuit-elle.
Les conseils multidisciplinaires regroupent un grand nombre de professionnels de la santé et des services sociaux, comme les ergothérapeutes, les travailleurs sociaux, les nutritionnistes ou les technologues en imagerie médicale.
Par voie de communiqué, la Confédération des syndicats nationaux (CSN) a dénoncé l’usage du bâillon «pour forcer l’adoption de la (…) plus vaste réforme que le réseau de la santé et des services sociaux n’a jamais vue».
La présidente de la grande centrale syndicale, Caroline Senneville, a promis de «se battre pour que les travailleuses et les travailleurs du réseau ne fassent pas les frais des réformes nocives du gouvernement». La CSN craint à la fois un virage accéléré vers le privé en santé et la centralisation du pouvoir à l’agence Santé Québec, qui deviendra l’employeur unique de tout le réseau.
Chez les gestionnaires aussi on se pose des questions. La présidente et directrice générale de l’Association des gestionnaires des établissements de santé et de services sociaux (AGESSS), Danielle Girard, parle d’un manque de clarté dans la définition des rôles. Elle s’interroge aussi sur la réelle autonomie des gestionnaires de proximité face au pouvoir centralisé de Santé Québec.
Pour bon nombre de ses quelque 8300 membres, il s’agit d’une troisième réforme de la santé au cours de leur carrière. Un autre chambardement qui survient alors qu’on n’a même pas fini de digérer celle de l’ère Gaétan Barrette, aussi adoptée sous bâillon, il y a moins de dix ans.
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