La canoéiste Laurence Vincent Lapointe n’a plus la passion nécessaire pour continuer

MONTRÉAL — Au cours des trois dernières années, Laurence Vincent Lapointe était sur ses gardes, constamment stressée. Ça se sentait jusque dans les entrevues qu’elle accordait. Lundi, au moment d’annoncer qu’elle rangeait pour une dernière fois son canoë au hangar, elle était sereine, libérée.

«Ça fait plusieurs mois que j’y pense. Cet automne, je voulais prendre mon temps et voir comment ça allait évoluer avec l’école», a indiqué par visioconférence l’athlète de 29 ans au sujet de ses nouvelles études en physiothérapie à l’Université de Montréal. 

«Ça n’est pas arrivé d’un coup. Ça a été une lente et mûre réflexion. Dernièrement, ce qui m’a frappée, c’est que je ne m’ennuyais pas d’être en camp d’entraînement, d’aller sur l’eau, de faire des tests. Je les ai vus faire des tests cette semaine et je ne m’ennuyais pas de ça. C’était donc assez clair que j’avais fini ma ‘run’!»

Elle ne cache toutefois pas que les deux années passées à défendre son honneur ont pesé lourd dans cette décision.

Petit retour en arrière: en juillet 2019, à un an de la date prévue des Jeux de Tokyo — les premiers à inscrire à leur programme le canoë féminin —, Vincent Lapointe, 13 fois championne du monde, subit un test antidopage positif au ligandrol. Elle sent alors son rêve olympique lui glisser entre les doigts. 

Une enquête rigoureuse de son avocat, Adam Klevinas, permet d’établir que son ex-conjoint est coupable de cette contamination par transfert de fluides corporels. Vincent Lapointe sera blanchie par la Fédération internationale en janvier 2020. 

D’être privée d’entraînement fait toutefois en sorte qu’elle rate sa qualification olympique et elle n’obtiendra qu’in extremis un laissez-passer, quand Canoë-kayak Canada utilise une place discrétionnaire pour lui donner son billet pour les Jeux.

«Je ne vous le cacherai pas: c’est l’une des principales raisons qui font que je sois certaine de ma retraite. Je me souviens avant ma suspension que je me disais vouloir faire deux Olympiques. Je ne me voyais pas nécessairement arrêter après 2020. Avoir vécu les deux années avant les Jeux, ça m’a mise à mal émotionnellement. J’ai eu besoin d’énormément d’aide des gens autour de moi et ils ont été formidables. Mais là, je suis fatiguée de ce qui est arrivé et je suis prête à passer à autre chose.

«C’est arrivé, je vais toujours m’en souvenir. Mais je suis mieux de laisser ça derrière et de passer à autre chose.»

Ces difficiles années ont aussi laissé des traces dans sa vie personnelle.

«Depuis 2019, je n’ai pas été capable de rencontrer des gens car j’ai trop peur d’être contaminée. Ce n’est pas sain d’avoir cette paranoïa, mais je l’ai. D’arrêter, ça va me permettre de ne pas toujours regarder au-dessus de mon épaule, de toujours avoir peur qu’il m’arrive quelque chose de physique, mental, ou une autre contamination. Ça va faire du bien de ne plus avoir ce stress qui est constant. 

«Les tests antidopage, j’ai toujours été extrêmement fière de les passer : ça disait que je suis une gagnante qui ne triche pas. Après 2019, quand tu as été brûlée une fois, tu as peur d’être brûlée une deuxième fois. Ça a beaucoup influencé ma décision.»

Tout cela est maintenant derrière elle.

«Je me suis donné la permission de recommencer à rencontrer des gens!»

Un rêve

C’est finalement à l’été 2021, aux Jeux de Tokyo – qui avaient été reportés d’un an – que la Trifluvienne mettra un baume sur ces deux années en remportant l’argent en C1 200m et le bronze en C2 500m, en compagnie de l’Ontarienne Katie Vincent. Sa course de C1 sur les eaux du canal de la forêt de la Mer, à Tokyo, était sa première compétition internationale depuis le 1er juin 2019.

«Il y a quelques années, si on m’avait dit que j’allais aller aux Olympiques et revenir avec une médaille d’argent et une de bronze, j’aurais peut-être dit : ‘Juste bronze? Juste argent?’. Mais d’avoir vécu ce que j’ai vécu, d’avoir gagné ces deux médailles, je vois ça comme un accomplissement. Ça met les choses en perspective. Ça aussi, ça a joué (dans ma décision): d’avoir réalisé mes objectifs, ma motivation a changé.»

Vincent Lapointe a été la grande vedette du canoë féminin pendant toute la décennie menant à ce test antidopage fatidique. Elle a remporté la médaille d’or aux Jeux panaméricains de 2015 au C1 200m. Elle a été sacrée championne du monde en C1 200m et C2 500m lors des Mondiaux de 2010, 2011, 2013, 2017 et 2018. Elle a aussi gagné le C1 200m en 2014, ainsi que le C1 5000m des Mondiaux 2018. Des titres qui s’ajoutent à celui au C1 200m des Mondiaux des moins de 23 ans en 2013.

Elle peut maintenant tourner la page sur ses exploits.

«Mon objectif, je l’ai toujours dit, c’était d’aller aux Olympiques, de remporter une médaille et d’aider à y amener les femmes. D’être allée, d’avoir réussi à ramener pas une, mais deux médailles, sur le coup je me disais que j’avais accompli ce que j’avais à faire. J’ai ensuite ressenti une grande fatigue et je voulais me donner le temps d’y réfléchir à tête reposée. D’avoir commencé ma formation en physio, c’est quelque chose qui m’a aidée à mettre un terme à mes questionnements. Je suis bien où je suis présentement. Certains athlètes ont l’impression de ne rien avoir au bout de la ligne; moi, j’ai quelque chose qui me tient à cœur. C’est pour ça que je me permets de prendre ma retraite.»